La perturbation de la relation entre l’Homme et la nature se trouve à la base de cette pandémie. De plus en plus de scientifiques en sont convaincus. La déforestation massive et la commercialisation d’animaux sauvages ont fait basculer des équilibres écologiques séculaires, dont celui qui concerne les virus et leurs hôtes. Plus que jamais, il faut investir dans des solutions durables pour la crise mondiale de biodiversité et le changement climatique.
Les scientifiques en sont presque certains : le nouveau coronavirus a été transmis à l’Homme par des chauves-souris, probablement en passant par un autre mammifère jouant le rôle ‘d’hôte intermédiaire’. Dans le Coronablog de l’Université d’Anvers, Erik Verheyen (IRSNB, UA), Herwig Leirs et Frederik Van de Perre (UA) expliquent : « Les maladies générées par la transmission d’un agent pathogène s’appellent des ‘zoonoses’. L’instant où un pathogène passe d’une espèce hôte à une autre est le ‘spillover’ ou ‘saut interspécifique’. » Les spillovers et les zoonoses ne sont pas des phénomènes nouveaux : ils sont aussi vieux que l’humanité.
Mais durant les dernières décennies, ces maladies se succèdent de plus en plus vite. Fièvre d’Ébola, rage, toxoplasmose, grippe aviaire, grippe porcine, MERS, SARS et COVID-19 : ce ne sont que certaines parmi plus de 200 zoonoses affectant les humains du monde entier. Ces 30 dernières années, plus de 30 pathologies humaines ont été découvertes, dont 55 % étaient apparues auparavant véhiculée par une autre espèce animale. Souvent, il s’agit d’une chauve-souris, ce qui fut le cas avec Ébola, MERS, SARS et est maintenant avec COVID-19. Ces dernières décennies, les intervalles entre spillovers, s’effectuant entre chauve-souris et humains et provoquant une épidémie, deviennent de plus en plus courtes. Et ce n’est pas de la faute de la chauve-souris, comme l’a récemment insisté le zoologiste Herwig Leirs dans un interview dans la revue ‘MO*’.
La nature également sous pression
Inger Andersen, la directeur du Programme pour l’Environnement des Nations Unies, estime qu’il faut considérer cette pandémie comme un avertissement. Dans un article paru dans ‘The Guardian’ , elle écrit que « l’Homme exerce trop de pression sur la nature ». Des scientifiques éminents disent que c’est presque toujours le comportement humain qui provoque la transmission d’une maladie d’un animal sauvage vers l’Homme. En fait, la transmission de virus, comme le nouveau coronavirus, nécessite un contact direct ou indirect entre l’Homme et animal. La façon dont nous gérons la nature augmente tous ces contacts. Nous pénétrons de plus en plus loin dans les habitas des animaux sauvages ; nous perturbons des écosystèmes millénaires et nous détruisons la biodiversité qu’ils hébergent.
Ces dernières décennies, des centaines de millions d’hectares de forêt tropicale ont été abattus, pour le bois, pour l’exploitation minière (notamment pour réaliser les chips de nos GSM et de nos ordinateurs) ou pour l’agriculture (notamment le soja, nourriture pour le bétail occidental). De plus, les animaux sauvages sont commercialisés pour leur viande ou à des fins médicales. De plus la croissance débridée de la mondialisation, notre aviation et nos mégalopoles produisent un « cocktail dangereux » pouvant donner naissance à une pandémie.
Déforestation et marchés humides
Au siècle passé, de nouvelles maladies zoonotiques apparaissaient surtout à l’orées des forêts africaines et asiatiques. La déforestation découpe ces forêts en ‘îlots’, ceux-ci entourés de vie humaine, créant ainsi davantage d’interaction entre les humains et les animaux sauvages, et les agents les pathogènes que ces derniers portent. Ces interactions peuvent se produire de plusieurs façons. Prenons par exemple les chauves-souris. Ne trouvant plus assez de nourriture et d’espace pour dormir dans les forêts qui rétrécissent, les populations de chauves-souris s’installent dans les vergers. Leurs excréments peuvent salir les fruits qui seront ensuite touchés ou mangés par d’autres d’animaux ou par des humains : soit localement, soit au village ou dans la ville voir même ailleurs dans le pays où la viande des animaux mangeurs de fruits infectés et des chauves-souris est vendue.
Dans beaucoup de pays, les chauves-souris sont une importante ressource alimentaire, voir même une délicatesse. Chassées activement dans la forêt, elles sont ensuite mangées ou vendues. Elles se retrouvent sur les marchés humides tristement célèbres où elles sont entassées stressées dans des cages avec d’autres espèces d’animaux sauvages. C’est un terrain propice pour la transmission de virus d’une espèce à une autre, dont l’espèce humaine. La viande de brousse, provenant d’animaux sauvages tropicaux, est même vendue sur le marché international, ce qui augmente davantage le risque d’une pandémie. (Vous trouverez plus d’information sur la viande de brousse en Belgique dans cet article.)
Un écosystème affaibli
Le commerce d’animaux sauvages exerce une pression énorme sur ces populations. Les pangolins, supposés hôtes intermédiaires pour le Covid-19, sont intensément chassés et commercialisés. Les huit espèces de pangolins, présents en Afrique et Asie, sont braconnées pour leur viande et leurs écailles alors qu’il s’agit d’espèces protégées. Or, lorsqu’un déséquilibre apparait pour une espèce ou une population, cela peut avoir des conséquences énormes pour le reste de l’écosystème. Ce déséquilibre peut provoquer des réactions en chaîne et générer une diminution significative de la biodiversité locale ou même régionale.
La déforestation est également une source de perte pour la biodiversité. Des espèces spécialisées, par exemple celles qui ne mangent que très peu, ou même un seul aliment spécifique, sont les premières à disparaître. Les espèces restantes sont celles qui ont une grande capacité d’adaptation et souvent une courte durée de vie et une reproduction rapide. Ces caractéristiques vont généralement de pair avec un système immunitaire défaillant. La forêt devient ainsi pauvre en espèces, qui par ailleurs se ressemblent bien plus et qui exercent donc des fonctions moins diverses dans l’écosystème. Comme l’a dit le zoologiste Herwig Leirs : « Un écosystème perturbé est un écosystème malade et affaibli ».
Et un tel écosystème n’est pas toujours capable d’exercer les services dont nous dépendons, comme l’approvisionnement alimentaire, la régulation des cours d’eau, la régulation de la qualité de l’air, la disponibilité en eau propre et, notez bien, la protection contre les maladies. Une plus grande variété d’espèces hôtes peut notamment diminuer drastiquement le risques de maladies. Ceci est appelé « l’effet de dilution ». Une forte biodiversité augmente l’effet de dilution, diminuant ainsi le risque d’une transmission de maladies infectieuses d’une espèce à l’autre (et donc également à l’Homme).
Connaissez vos limites
La dégradation des écosystèmes et la perte en biodiversité, la perturbation des bilans écologiques, l’omniprésence des activités humaines, l’intensification de l’exploitation des terres, la commercialisation des animaux sauvages : ce sont tous des problèmes à affronter afin de se protéger contre les pandémies. Et ce ne sera pas facile : ils sont tous enracinés dans notre économie globalisée. Dans une tribune libre dans la revue ‘Knack’, le bioingénieur Myriam Dumortier (Université de Gand) nous confronte avec la réalité : « Le Covid-19 n’est pas un contrecoup isolé. C’est une des affres d’un système qui a dépassé ses limites, et ces affres se renforceront. »
L’Anthropocène est confronté à ses limites. Il ne nous est plus permis de croire que nous vivons dans un cocon de technologies, isolés de la nature sauvage. Nous en faisons partie, nous y sommes intégrés et nous en dépendons. « Ce qui nous arrive maintenant démontre très clairement notre vulnérabilité et notre futilité, ainsi que celles de notre société. Cela devrait nous donner conscience que nous ne sommes qu’un petit maillon dans le grand système de la vie sur terre ». Ce sont les sages paroles du biologiste Patrick Meire (UA) dans une autre tribune dans Knack. Il est certain que d’autres pandémies se présenteront, mais leur nombre dépendra du soin que nous porterons à la biodiversité et aux équilibres naturels de notre planète.
Pour en savoir plus sur le commerce d’animaux sauvages, le commerce et la consommation de la viande de brousse et une démarche vers un commerce durable de plantes et d’animaux sauvages, consultez les Policy Briefs de la Plateforme belge de la biodiversité et biodiversity.be!
Sources:
Wat zijn zoönoses als COVID-19 en waar komen ze vandaan? - Herwig Leirs, Frederik Van de Perre en Erik Verheyen, Coronablog UA, 04/05/2020
https://blog.uantwerpen.be/corona/zoonoses/
‘Corona is alleszins niet de schuld van de vleermuis’ – Tine Hens, mo.be, 28/03/2020
https://www.mo.be/interview/corona-alleszins-niet-de-schuld-van-de-vleermuis
Coronavirus: 'Nature is sending us a message’, says UN environment chief - Damian Carrington, theguardian.com, 25/03/2020
https://www.theguardian.com/world/2020/mar/25/coronavirus-nature-is-sending-us-a-message-says-un-environment-chief
'Covid-19 is geen eenmalige tegenvaller: we moeten onze relatie met de natuur herzien' -Myriam Dumortier, knack.be, 27/03/2020
https://www.knack.be/nieuws/belgie/covid-19-is-geen-eenmalige-tegenvaller-we-moeten-onze-relatie-met-de-natuur-herzien/article-opinion-1581297.html
'Business as usual is geen optie meer: we moeten de populatiegroei beperken en de natuur herstellen' – Patrick Meire, knack.be, 13/04/2020
https://www.knack.be/nieuws/belgie/business-as-usual-is-geen-optie-meer-we-moeten-de-populatiegroei-beperken-en-de-natuur-herstellen/article-opinion-1586991.html
D. Katterine Bonilla-Aldana, Kuldeep Dhama Alfonso & J. Rodriguez-Morales. Revisiting the One Health Approach in the Context of COVID-19: A Look into the Ecology of this Emerging Disease. Advances in Animal and Veterinary Sciences 8(3):1-3 (2020).
Retrieved on 12/05/2020 from https://www.researchgate.net/publication/339751049_Editorial_Revisiting_the_One_Health_Approach_in_the_Context_of_COVID-19_A_Look_into_the_Ecology_of_this_Emerging_Disease
Volpato, G., Fontefrancesco, M.F., Gruppuso, P., Zocchi, Dauro M., Pieroni, A. Baby pangolins on my plate: possible lessons to learn from the COVID-19 pandemic. J Ethnobiology Ethnomedicine 16, 19 (2020). https://doi.org/10.1186/s13002-020-00366-4
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COVID-19 Stimulus Measures Must Save Lives, Protect Livelihoods, and Safeguard Nature to Reduce the Risk of Future Pandemics - Josef Settele, Sandra Díaz, Eduardo Brondizio and Peter Daszak, ipbes.net, 27/04/2020
https://ipbes.net/covid19stimulus
Open Letter to Global Leaders – A Healthy Planet for Healthy People – clubofrome.org, 26/03/2020
https://clubofrome.org/impact-hubs/climate-emergency/open-letter-to-global-leaders-a-healthy-planet-for-healthy-people/
COVID-19 and the dark side of promiscuity in life – Juli Peretó, metode.org, 20/04/2020 https://metode.org/issues/opinio-revistes/covid-19-and-the-dark-side-of-wantonness-in-life.html?_ga=2.237739081.879945034.1587463597-763685461.1585724323
Covid-19: one part of an ecological public health crisis – discoversociety.org, 19/04/2020
https://discoversociety.org/2020/04/19/covid-19-one-part-of-an-ecological-public-health-crisis/
Corona en consoorten: vanwaar komen ze? – Diplomatie.belgium.be, 8/05/2020
https://diplomatie.belgium.be/nl/Beleid/beleidsthemas/uitgelicht/coronacrisis/corona_en_consoorten_vanwaar_komen_ze